LES DéFIS DU SEVRAGE D’OPIOïDES AU FéMININ

Armée de sa trousse de naloxone, Keisha Daley, une ex-consommatrice de fentanyl, mène sa lutte contre la crise des opioïdes qui fait rage au Nouveau-Brunswick. Un combat qui est encore plus dur pour les femmes, dit-elle, dans une province où il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Keisha Daley a touché à la drogue pour la première fois en 2016. J’étais dans une relation abusive, partage-t-elle. Mon agresseur m’a initiée à la cocaïne. J’ai fini par perdre [la garde de] mes enfants.

Itinérante dans les rues de Moncton pendant plusieurs années, Keisha Daley s’y est aussi procuré les drogues qu’elles consommaient, dont du fentanyl.

En 2023, pour avoir accès à du matériel d’injection gratuit et sécuritaire, elle commence à fréquenter les locaux de l’organisme communautaire Ensemble Moncton, un centre de prévention des surdoses.

De fil en aiguille, elle se joint au groupe de bénévoles du centre, cesse de consommer pour finalement décrocher un emploi au sein de l'organisme.

Maintenant, j’ai le droit de parler avec mes enfants. J’ai aussi un appartement. Je ne suis plus une sans-abri, raconte Keisha Daley.

Sexisme dans la rue

Keisha Daley rappelle que la consommation d'opioides ne touche pas seulement les itinérants. Vous seriez surpris de voir qui consomment, dit-elle. Il y a vraiment toute sortes de personnes.

Et quand on est une femme, les obstacles se multiplient.

Elle affirme s’être sentie désavantagée, pendant son processus de rétablissement. Pourtant, avance-t-elle, la moitié des consommateurs qu’elle a côtoyé dans la rue étaient de sexe féminin.

Il n’y a pas assez de ressources pour les femmes. C’est comme s’ils croient qu’il n’y a que les hommes qui consomment, clame-t-elle. Tout est toujours offert aux hommes. On n’a pas la même aide. Ce n’est pas juste.

Maintenant, c'est Kheisha qui aide les autres.

Elle se promène avec sa trousse de naloxone. Un outil plus que nécessaire, en 2024.

C’est beaucoup plus dangereux maintenant […]. Le fentanyl est désormais mélangé à tout. On ne sait jamais ce qu’il y a dans ce que l’on se procure, remarque Keisha Daley. Une seule petite quantité de fentanyl peut vous faire sombrer. Beaucoup de gens en consomment.

Rétablissement au féminin

Il existe différents types d’aide, d’organismes et de centres de désintoxication pour les femmes, au Nouveau-Brunswick.

Or, selon la Dre Tracy Meyer, spécialiste en dépendances, certains enjeux peuvent toucher plus largement les femmes dans leur processus de rétablissement.

Par exemple, dit-elle, le fait que la plupart des centres de désintoxications nécessitent un déplacement de la consommatrice vers un lieu physique quelconque où elle reste pour s’y sevrer, souvent pendant des mois. Les femmes qui ont des enfants et des emplois vont avoir beaucoup plus de mal à suivre ce type de programme, soutient la Dre Tracy Meyer.

De plus, plusieurs ressources sont mixtes, ce qui peut parfois causer des problèmes. La période de rétablissement est une période de vulnérabilité incroyable pour les femmes et, malheureusement, lorsqu’il s’agit de programmes mixtes, l’un des plus gros enjeux qu’on remarque c’est qu’il peut y avoir des situations où elles vont se faire exploiter [par des hommes] , explique-t-elle.

Parallèlement, la Dre Tracy Meyer précise que les problèmes relationnels entrent souvent en ligne de compte dans la consommation de drogues chez les femmes au Nouveau-Brunswick.

Il existe régulièrement une dynamique de pouvoir dans le couple qui peut rendre plus difficile pour les femmes de choisir le moment où elles veulent cesser de consommer, précise-t-elle. Parfois, lorsqu’elles se trouvent dans un état de grande vulnérabilité, les femmes peuvent être exploitées de manière à ce qu’il devienne plus bénéfique à l’homme qu’elle demeure sous l’emprise par la drogue.

Le centre Sophia, un modèle ?

Face à ces enjeux et à la nécessité d’espaces sécuritaires féminins, un organisme sort néanmoins du lot, au Nouveau-Brunswick, selon la Dre Tracy Meyer.

Il s’agit du Centre de rétablissement Sophia, qui offre des traitements non résidentiels essentiels exclusivement pour les femmes qui se remettent de dépendances à Saint-Jean.

Le centre Sophia, explique la Dre Tracy Meyer, offre à ses patientes des horaires afin de complémenter leur vie au lieu de les en éloigner tout en leur permettant d’être vulnérables sans risquer d’être exploitées.

Ce que Sophia a réussi à développer et à offrir je crois que c’est tout à fait unique au Canada, croit la Dre Tracy Meyer. C’est un environnement très sécuritaire et réconfortant pour les femmes.

Si la formule semble plus gagnante aux yeux de la médecin néo-brunswickoise, l’offre demeure encore limitée.

À ce jour, en plus de son pied à terre Saint-Jean, le centre Sophia n’offre ses services qu’à St. Stephen et Quispamsis.

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