L’éPIQUE COMBAT D’ARTISANS CONTRE DES COPIEURS D’OUTRE-MER

Ils manient aussi bien l’épée que la hache de combat. Ils se vêtissent des plus beaux habits médiévaux. Pour donner vie à leurs univers fantastiques, les amateurs de jeux de rôle grandeur nature peuvent compter sur des artisans locaux passionnés.

Samuel Gagnon-Tremblay est l’un de ces créateurs. Il a fondé la boutique Les Artisans d’Azure il y a près de vingt ans. On compte beaucoup de clients québécois qui viennent sur place, mais aussi des Américains et des Européens qui commandent en ligne, explique-t-il.

La spécialité de la maison : le cuir. L’équipe d’une vingtaine d’employés conçoit et fabrique des vêtements, des armures et des accessoires, dont plusieurs modèles sont copiés par des entreprises indiennes ou chinoises.

C’est le cas de l’armure de samouraï, imaginée par les Artisans d’Azure et vendue à près de 1000 $. En naviguant sur le web, nous trouvons facilement le même modèle, avec les mêmes photos, pour une fraction du prix.

On ne vend pas sur eBay, on ne vend pas sur Amazon. Ce sont nos photos, mais pas nos produits, déplore Samuel.

Nous avons aussi déniché d’autres produits des Artisans d’Azure copiés, dont le ceinturon celte, d’une valeur de 150 $. En quelques clics, nous avons commandé sa pâle copie sur la plateforme de vente en ligne chinoise AliExpress.

Les clients, qui croient commander un article de bonne qualité, se rendent compte de la supercherie une fois le produit livré.

Dans le cas du faux ceinturon, le modèle reçu n’est pas en cuir, mais plutôt en matériel synthétique, qui déchire facilement. Ce qui n’étonne pas Samuel, puisque le produit est cinq fois moins cher.

Le faux ceinturon, c’est un genre de housse de BBQ. Ce n’est vraiment pas de bonne qualité. Ils ont repris notre photo, mais c'est évident que la qualité n’est pas là, constate Samuel.

Une difficile concurrence

D’ailleurs, d’autres entreprises subissent le même sort. Comme Calimacil, une PME de Sherbrooke spécialisée dans la fabrication d’armes pour les jeux de rôles grandeur nature.

Le directeur commercial, Samuel Tremblay-Vézina, a en main un modèle original de hache de combat et une copie trouvée sur une plateforme de vente.

La ressemblance est à s'y méprendre : la croix, le cercle autour des deux rivets, la forme, observe-t-il.

Mais pas les matériaux. Calimacil utilise des mousses flexibles qui ne blesseront pas les joueurs. La copie, quant à elle, est très rigide, comme le constatent ces habitués des jeux de rôle grandeur nature, rencontrés lors du Salon de la passion médiévale tenu à Laval.

La lame ne se plie pas. Ce n’est pas fait pour des combats sécuritaires. C'est un beau jouet!, commente Ioan Thériault. La lame n'est pas du tout flexible. Clairement, cette arme-là serait refusée sur le terrain, renchérit Paméla Thibodeau-Labelle.

Pour sa part, Lothian Bélanger déclare : Je n’ai même pas frappé fort et ça fait mal. Ce n’est pas fait pour les jeux de rôle grandeur nature. Il va être écrit que oui, mais ce n’est pas le cas.

Charles Brousseau, propriétaire de la boutique médiévale Dracolite, résume bien l’exaspération des artisans, qui tentent par tous les moyens de protéger leurs créations.

On essaie de faire quelque chose de trop difficile à copier. Mais malheureusement, les copieurs peuvent utiliser ton image. On veut être vus, mais on ne veut pas être copiés. C'est difficile, reconnaît-il.

Une protection qui coûte cher

Face à ces concurrents virtuels, les artisans ont bien peu de munitions. Ils peuvent notamment enregistrer des dessins industriels. Il s’agit d’un moyen légal de protéger l’apparence d’un produit et d’interdire les copies.

Avec des coûts prohibitifs, les artisans sont peu nombreux à pouvoir en profiter, comme le remarque l’avocat spécialisé en propriété intellectuelle Alain Y. Dussault, associé au cabinet Lavery.

Si je ne veux pas être copié, je devrai enregistrer mon droit au Canada. Mais je devrai sans doute aussi l’enregistrer aux États-Unis. On est à 5000 $. Puis en Europe, au Japon. Ça s’accumule. Et si on a 25 modèles d'armure, c'est 25 fois les mêmes démarches, explique-t-il.

Sans cette protection et sans marque de commerce, les créations des artisans peuvent être reproduites en toute légalité. La règle, en principe, c'est la copie. En l'absence de droits de propriété intellectuelle, on a le droit de copier, indique Me Alain Dussault.

En Europe, les créateurs ont droit à une protection simple et gratuite : les dessins et modèles non enregistrés. Toute copie d’un design publié est interdite pour une période de trois ans.

Il s’agit d’un outil efficace pour protéger les entrepreneurs d’industries saisonnières, comme la mode. Par contre, ce type de protection n’est pas offert au Canada.

On a un système plus en faveur des copies, entre guillemets, que des innovateurs. L'Europe et les États-Unis ont des lois beaucoup plus restrictives que nous, c'est certain, ajoute-t-il.

Photos volées, pages de produits désactivées

Il y a de l’espoir toutefois, à tout le moins en ce qui concerne les images volées par les copieurs.

Si un artisan d’Asie peut copier un modèle des Artisans d’Azure, il n’a pas le droit de reproduire les images et les descriptions originales du site web. Les photographies des artisans sont protégées par le droit d’auteur. Cette protection, contrairement aux dessins industriels, est gratuite et automatique.

Les entreprises comme eBay ou Amazon réagissent assez rapidement. Il va y avoir une enquête, puis si vous démontrez que vous êtes titulaires du droit d’auteur, la page [des copieurs] va être fermée, résume Me Alain Dussault.

Les Artisans d’Azure ont soumis des dizaines de signalements de photos volées ou de produits copiés sur des sites comme Amazon, eBay ou Etsy, une plateforme de vente consacrée à l’artisanat. Dans certains cas, les pages visées sont désactivées. Mais il arrive que les copieurs contre-attaquent.

L’entreprise indienne a même réussi à faire croire à l’hébergeur du vrai site web des Artisans d’Azure que c’est l’entreprise montréalaise qui les copiait.

Nos courriels ne fonctionnaient plus. Notre site web fonctionnait plus. On a perdu quelques milliers de dollars de ventes. C'est réglé, mais on n’est pas à l'abri. C'est un peu angoissant, cette facilité de damner quelqu'un qui a un vrai produit et une vraie création, déplore le PDG.

Selon Charles Brousseau, de Dracolite, attaquer les copieurs est presque peine perdue. J'ai fait quelques démarches dans le passé, j'ai eu quelques succès, mais pour un qui tombe, il y en a quatre qui ouvrent, déplore-t-il.

Chez Calimacil, même constat : On a réussi à arrêter un produit, mais il y en a 20 autres qui apparaissent. Les zones où il y a de la copie, ce n’est pas des zones juridiques où on a beaucoup de contrôle.

Les clients à la rescousse

À défaut de mieux, le meilleur outil pour protéger les artisans reste de convaincre les clients d’acheter local.

Certains d’entre eux n’hésitent pas à investir temps et argent pour promouvoir leurs artisans préférés.

C’est le cas de Frédérick Chabot : On a de très bons artisans au Québec, donc c'est de les encourager.

Personnellement, chaque année, je me prévois un certain budget pour les commerces locaux, affirme Paméla Thibodeau-Labelle.

Il faut essayer de soutenir les entreprises qui ont des bonnes valeurs. C'est comme ça qu'on va faire grandir ce milieu-là, estime pour sa part Sacha Fenrir.

Le reportage de Jean-Luc Bouchard est diffusé à l’émission La facture le mardi à 19 h 30 et le samedi à 12 h 30 à ICI TÉLÉ. Il est aussi possible de le visionner en rattrapage sur ICI Tou.tv.

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