LES BOISSONS éNERGISANTES, TROP BANALISéES?

Les boissons énergisantes ont traditionnellement été associées à l’amélioration des performances physiques. Depuis quelque temps, de nombreuses marques ont entrepris un virage marketing en avançant que leurs produits sont non seulement plus « santé », mais qu’ils peuvent aussi améliorer les fonctions cognitives.

Qu’en est-il vraiment? Des spécialistes mettent en doute les allégations de plusieurs entreprises, s'inquiètent des effets néfastes des boissons énergisantes sur la santé et réclament davantage de sensibilisation auprès des jeunes.

Une boisson pas si inoffensive

Dans la croyance populaire, on peut penser que les problèmes de santé potentiels liés aux boissons énergisantes surviennent uniquement en consommant une trop grande quantité ou en mélangeant les produits avec de l'alcool.

Pour le Dr Mario Sénéchal, cardiologue et chercheur à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, il n’y a pas de consommation [de boissons énergisantes] sécuritaire. C’est-à-dire qu’une personne peut éprouver des effets néfastes sur sa santé sans nécessairement dépasser les doses maximales recommandées de caféine.

D’ailleurs, le Dr Sénéchal voit régulièrement de jeunes patients se présenter à l’urgence en raison d’effets secondaires uniquement liés à la consommation de ce type de boissons. [Ils] se présentent avec des palpitations, de la fibrillation auriculaire, un malaise cardiaque. Ils n'ont consommé qu’une à deux boissons énergisantes, dit-il.

Difficile cependant de savoir combien de personnes au Canada sont hospitalisées chaque année en raison de ces troubles. Selon nos recherches, il n’existe aucune donnée précise à l’échelle nationale.

Le cardiologue affirme même avoir vu des cas graves. J'ai vu des jeunes patients se présenter à l'urgence en arythmie, en arythmie maligne. J'ai vu des patients avoir besoin d’un cœur mécanique (instrument artificiel qui peut temporairement aider le cœur à pomper), assure le spécialiste.

Que contiennent exactement ces boissons? Les recettes varient. Mais le terme boissons énergisantes désigne généralement des boissons sucrées qui, selon Santé Canada, contiennent de la caféine et d’autres ingrédients comme de la taurine, des vitamines et minéraux, et parfois des ingrédients végétaux.

Ce constat est mondial. En janvier 2024, des chercheurs britanniques ont conclu que les boissons énergisantes peuvent avoir un impact, entre autres, sur la santé physique et mentale des jeunes. Une conclusion tirée après l’analyse de 57 études menées dans 21 pays et sur plus d'un million de jeunes.

Selon le chimiste Yannick Bergeron, outre la concentration de caféine, la grande différence entre boire un café chaud et une boisson énergisante réside dans la vitesse d’assimilation de la caféine.

Généralement, on sirote un café. Puisqu’une boisson énergisante est sucrée et froide, on a tendance à la boire plus rapidement et en plus grande quantité.

Les recommandations en vigueur

Selon la réglementation de Santé Canada, les boissons énergisantes peuvent contenir jusqu'à 180 mg de caféine par canette.

L’organisme fédéral recommande une consommation maximale de 400 mg de caféine par jour pour un adulte. C’est l’équivalent d’environ deux tasses de café filtre.

Pour les enfants et les adolescents de moins de 18 ans, le maximum de caféine recommandé quotidiennement se calcule en fonction du poids (2,5 mg par kg de poids corporel). Pour un jeune de 55 kilos, soit 120 livres, c’est un maximum de 138 mg.

Sur le marché, plusieurs marques dépassent ce taux dans une seule canette : Prime (140 mg), Reign (180 mg), Celcius (140 mg), Redbull (151 mg), Alani (140 mg), Rockstar (160 mg) et Monster (165 mg).

En buvant l’une ou l’autre de ces canettes, un jeune dépasse donc la dose maximale recommandée, même si elles respectent la réglementation de Santé Canada.

Des boissons bonnes pour le cerveau?

Le marketing de ces boissons a longtemps été axé sur l'intensité physique. Maintenant, une nouvelle génération de produits laisse entendre que c’est bon pour le cerveau.

Guru dit que certaines de ses boissons peuvent améliorer la concentration et les performances mentales. Mateina affirme que ça protège les neurones. Et Mate Libre promet des fins de sessions pas mal plus productives!

L’épicerie a demandé à cinq entreprises (Guru, Mateina, Mate libre, Juvee et Ooya) d'expliquer sur quelles données elles se basent pour affirmer de telles prétentions. Elles ont toutes transmis leurs études – à l’exception de l'entreprise Juvee – qui ont été analysées par la docteure en pharmacie et nutritionniste Annie Ferland aux fins du reportage.

Premier constat : ce sont uniquement les composantes qui sont étudiées. [Dans ces études], on n’évalue pas la boisson en tant que telle. On va prendre des études qui existent déjà dans la littérature scientifique, remarque l’experte.

De plus, Annie Ferland souligne que la quantité de caféine étudiée est souvent moindre que celle contenue dans les boissons. C'est souvent des études [réalisées] avec un très petit nombre de sujets, soit 20, 30 ou 40 sujets. Ce n'est pas concluant pour dire que les allégations sont supportées par la science, estime-t-elle.

Nous avons demandé aux entreprises concernées de réagir à cette analyse. L'entreprise Guru se dit très surprise : Notre démarche repose sur des bases scientifiques solides […] et validée par notre propre [docteur] en pharmacologie. [...] Toutes nos allégations sont non seulement approuvées par Santé Canada et l'ACIA (Agence canadienne d'inspection des aliments), mais également validées par un cabinet d'avocats international, expert en alimentaire.

De son côté, Mate Libre déclare : de nombreuses recherches ont validé les effets bénéfiques des ingrédients du maté sur la santé cognitive et l'énergie. La recherche dans le domaine des boissons énergisantes est en constante évolution. [...] Toutes les études que nous avons partagées avec vous, ainsi que celles sur lesquelles nous nous appuyons, sont rigoureusement approuvées et crédibles. [...] Nous nous efforçons d'éduquer nos clients sur les bienfaits et la consommation responsable de nos produits, afin qu'ils puissent faire des choix éclairés.

Pour sa part, Mateina n’a pas voulu réagir publiquement au reportage. Juvee et Ooya, quant à elles, n’ont pas répondu à notre demande.

Par ailleurs, l’interaction de tous les ingrédients (par exemple des suppléments, de la caféine, de la taurine, du sucre et des édulcorants) contenus dans ces boissons inquiète aussi les experts que nous avons consultés.

Une nouvelle gamme de produits

Depuis quelques années, on a vu l’apparition de nouveaux produits (comme des eaux ou des infusions) qui peuvent donner l’impression d’être plus santé en raison des ingrédients qui les composent.

Présentement, la tendance, c'est de nous présenter ça comme une boisson qui est naturelle, qui est santé d'une certaine façon, parce qu'on associe le naturel à la santé, ce qui n'est pas toujours le cas. Des ingrédients naturels peuvent avoir aussi des effets secondaires ou des effets indésirables, explique Annie Ferland.

Le chimiste Yannick Bergeron ajoute que même si les entreprises utilisent des ingrédients autres que le café dans leurs produits, l’effet de la caféine est le même.

La teneur en caféine varie d’un produit à l’autre, allant de 50 mg à 180 mg par canette. Pour le Dr Sénéchal, même une boisson faible en caféine peut avoir des effets néfastes sur la santé.

Le nombre de milligrammes effectivement est plus bas dans certaines boissons, mais on n'est pas exempt des effets secondaires comme l'insomnie, les tremblements et les problèmes digestifs, affirme-t-il.

Depuis juillet 2022, Santé Canada oblige les entreprises à afficher des avertissements sur les canettes de boissons énergisantes contenant des niveaux élevés de caféine, mais elles ont jusqu’en janvier 2026 pour se conformer au nouveau règlement.

Certaines le font déjà. Il est donc possible de voir des mises en garde telles que : Non recommandé pour les enfants de moins de 14 ans, les personnes enceintes ou qui allaitent et les personnes sensibles à la caféine ou encore Ne pas boire plus de X portion(s) par jour.

Pour le Dr Sénéchal, ce nouveau règlement de Santé Canada ne va pas assez loin. Pour moi, c'est insuffisant. C'est pas vrai qu'un jeune va lire tout ce que contient la boisson, soutient-il.

Un marketing « agressif »

Au Québec, certaines entreprises distribuent gratuitement leurs produits aux abords et dans certains établissements d'enseignement supérieur. C'est impressionnant, le marketing agressif des compagnies, constate le Dr Sénéchal, qui enseigne lui-même à l’université.

Charlie Grenier, une jeune consommatrice de 20 ans, raconte avoir été témoin de commandites de boissons énergisantes alors qu’elle était étudiante au Cégep de Jonquière.

Avec Guru, [c’était] vraiment facile. Il y avait des caisses et des caisses. [...] Tout le monde allait chercher une Guru dans le local, ça [donnait] envie d'en avoir une aussi, relate-t-elle.

Quelques pays interdisent déjà la vente de ces boissons aux mineurs. Toutefois, au Canada, il n’y a aucune interdiction.

Le Dr Sénéchal estime que le gouvernement devrait en faire plus. On leur demande d'avoir une organisation expliquant les méfaits de ces boissons énergisantes. Je [verrais] très bien des messages publicitaires qui présentent les patients qu'on a connus, qui présentent leur histoire, que les jeunes voient que ça peut leur arriver, conclut-il.

La nutritionniste Annie Ferland pense la même chose : Certainement, il y a place à avoir un peu plus de réglementation pour bien encadrer ces boissons-là.

Avec les informations de Myriam Fehmiu, de Caroline Lacroix et de Marie-Claude Montambault

2024-09-14T08:09:49Z dg43tfdfdgfd