ENVIRONNEMENT : RéDUIRE, RéUTILISER, REPENSER

Même si on nous a toujours inculqué la notion que le recyclage était un geste respectueux de l’environnement, il est temps de voir au-delà de notre bac bleu.

L’actualité nous apprend que des milliers de tonnes de papier canadien sont expédiés chaque mois en Inde, que nos bouteilles de vin soigneusement rincées finissent dans des sites d’enfouissement et que les usines de recyclage des métaux prennent fréquemment feu. Bien qu’on puisse éprouver une certaine satisfaction à jeter nos emballages dans le bac de recyclage plutôt qu’à la poubelle, notre sentiment de contentement devient de plus en plus difficile à conserver à l’égard de cette action prétendument écologique. Et il existe une matière qui surpasse les autres au chapitre de l’anxiété que suscitent les produits à usage unique: le plastique. Depuis les années 1950, l’homme a généré 8,3 milliards de tonnes de plastiques issus des combustibles fossiles et, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seulement 9 % ont été recyclés. 

Ce faible taux s’explique en partie par le fait qu’il existe de nombreux types de plastiques et que la plupart ne peuvent pas être mélangés entre eux. Déterminer ce qui peut être mis ou pas dans la poubelle bleue est déroutant, même pour les plus connaisseurs d’entre nous. Si vous avez déjà prêté attention au chiffre estampé sur le contenant (au centre du symbole de recyclage) pour savoir si votre système de tri acceptait ou pas ce contenant en particulier, ce dilemme vous est familier. Si, au contraire, vous jetez le plastique dans le bac sans vous soucier de ce qu’il en adviendra, ça fait aussi partie du problème. C’est ce que Cher Mereweather, directrice générale de la plateforme de collaboration interindustrielle Pacte canadien sur les plastiques, appelle le wishcycling (ou recyclage à l’aveuglette). En outre, le plastique ne peut être recyclé qu’une ou deux fois avant d’être trop dégradé et de devenir toxique.

Le Pacte canadien sur les plastiques vise à mettre en place une économie circulaire pour ce type de déchets, tout en incitant les entreprises à ne plus les utiliser, à uniformiser les résines entrant dans la fabrication des différents plastiques (afin qu’ils puissent être recyclés ensemble) et à unifier les systèmes de tri au pays. «L’aspect le plus important du Pacte est qu’il permet de se réunir et de dialoguer avec les personnes de toute la chaîne de valeur du plastique: les fournisseurs de matières premières, les propriétaires de grandes marques, les détaillants, les collecteurs et les trieurs», dit Myra Mereweather à propos des partenaires qui se sont engagés à atteindre les principaux objectifs du Pacte, notamment de grandes compagnies comme Coca-Cola, Nestlé et Kraft Heinz.

Le message du Pacte, qui fait écho à des accords semblables — notamment le traité des Nations Unies sur le plastique —, est certainement optimiste, mais tout plan qui propose d’aider l’environnement tout en soutenant le recyclage doit être examiné à la loupe. Une petite recherche poussée plus avant sur la feuille de route virtuelle du Pacte montre que les partenaires mentionnés précédemment ont comme parties prenantes des sociétés telles que BlackRock, réputée pour être une importante investisseuse dans les entreprises de combustibles fossiles. Ce lien devrait éveiller notre curiosité de consommateurs. En effet, l’industrie des combustibles fossiles définit l’économie depuis que le charbon a commencé à être utilisé pour la production d’électricité dans les années 1880, et elle n’a pas l’intention de disparaître, selon Myra Hird, autrice de Canada’s Waste Flows et professeure de sociologie à l’École d’études environnementales de l’Université Queen’s, en Ontario. 

La vérité est que, dans notre modèle capitaliste, les enjeux liés à la population sont plutôt régis par l'argent que par le bon sens.

Au moment où le monde s’efforce de se tourner vers les voitures électriques et les énergies renouvelables, les entreprises de combustibles fossiles ont trouvé une faille qui leur permet de paraître plus écologiques dans la fabrication de plastiques. «À l’échelle mondiale, toutes les plus grandes compagnies pétrolières et gazières — en Chine, en Russie et aux ÉtatsUnis — investissent des milliards de dollars dans le recyclage des plastiques», dit Myra Hird. De tels investissements nous indiquent que ces entreprises veulent qu’on continue à voir notre bac de recyclage comme un produit respectueux de l’environnement et non comme quelque chose qui leur permet de continuer à prospérer. Rappelons que les plastiques recyclés contiennent généralement de la résine vierge (par opposition à la résine recyclée), qui provient des combustibles fossiles. Ces compagnies apprécient donc particulièrement notre dévotion écologique individuelle, qui détourne l’attention de leurs responsabilités en tant que fabricantes et emballeuses. «C’est une victoire pour elles, car elles donnent l’impression qu’elles font quelque chose de bien pour l’environnement, dit-elle. En fait, elles transfèrent le coût aux consommateurs, et elles continuent de profiter de l’extraction des combustibles fossiles.»

La vérité est que, dans notre modèle capitaliste, les enjeux liés à la pollution sont plutôt régis par l’argent que par le bon sens. Les centres de tri ne traitent une matière que s’il existe un marché pour celle-ci ou pour ses composants. Un exemple est le polyéthylène téréphtalate, qui est utilisé dans la fabrication de nombreux produits, notamment les vêtements et les bouteilles de soda à usage unique. Ainsi, le plus souvent, ce qu’on dépose avec optimisme dans notre bac bleu finit dans un dépotoir après avoir effectué de longs trajets en camion à destination et en provenance d’un centre de tri, en émettant des gaz à effet de serre à chaque arrêt. Et cela ne tient même pas compte des résidus toxiques que génère le recyclage. «Il est facile pour nous de tenir les déchets éloignés de notre vue et de notre esprit, bien plus facilement que ça l’est pour les petits pays d’Europe, dit Myra Hird. Quand le pays entier est plus petit que l’Île-du-Prince-Édouard, c’est plus compliqué.» Parfois, la dernière demeure de ces déchets est une décharge située aussi loin, par exemple, que les Philippines, un pays qui génère lui-même 2,7 millions de tonnes de plastiques par an (dont on estime que 20 % finissent dans l’océan).

Les entreprises qui réalisent d’énormes profits grâce à des produits à usage unique s’adaptent facilement et trouvent des moyens de maintenir chez les consommateurs le sentiment de satisfaction qui accompagne le fait de recycler. Elles ont compris qu’elles pouvaient agir comme si devenir « vert » était un signe de respect pour l’environnement plutôt que la couleur de l’avidité. Prenons l’exemple de Coca-Cola, qui a lancé ses bouteilles recyclées au Canada en 2023: l’étiquette rouge et blanc classique est désormais rehaussée d’une bande verte, qui indique que le contenant est fait à partir de plastique recyclé. Ou l’exemple de Berkshire Hathaway, l’une des principales parties prenantes de Coca-Cola: c’est le plus gros actionnaire d’Occidental Petroleum, une entreprise pétrolière et gazière américaine. 

Mais le recyclage n’est pas seulement un problème environnemental. Un rapport de Greenpeace publié l’année dernière indique combien les plastiques recyclés contiennent des concentrations plus élevées de produits chimiques toxiques qu’auparavant, ce qui ne fait que mettre davantage en danger la santé de la planète et la nôtre. En outre, une étude néerlandaise de 2022 a révélé pour la première fois la présence de microplastiques (de minuscules fragments créés à mesure que le plastique se dégrade) chez les humains, découverts dans 80 % des prélèvements sanguins effectués, et leurs effets sont encore inconnus. 

ll devient donc difficile d’accepter d’inclure les plastiques dans une économie circulaire, car notre but devrait être d’utiliser les produits et les matières le plus longtemps possible.

Pour ancrer la durabilité et la circularité dans nos habitudes de consommation, on doit cesser de nous tenir personnellement responsables du plastique qui se retrouve dans l’environnement et on doit commencer à rejeter la faute sur les sources. On a besoin de davantage de mesures qui tiennent les industries responsables des matières qu’elles introduisent dans notre vie et qui finissent aux ordures, en se décomposant en morceaux de plus en plus petits pendant 1000 ans.

Les entreprises doivent être tenues responsables des déchets qu’elles produisent et doivent payer pour s’en débarrasser en fin de vie.

Le gouvernement canadien a interdit l’utilisation du plastique dans certains articles, comme les contenants à emporter à usage unique. C’est un bon point de départ, même si les détails et les types de plastiques visés font encore l’objet de débats devant les tribunaux. Myra Hird reconnaît qu’il pourrait s’agir d’un pas dans la bonne direction, si cette interdiction sert de tremplin à d’autres mesures plus importantes et plus efficaces. Après tout, les plastiques à emporter (y compris les pailles et les couverts) ne représentent que 3 % des déchets de plastiques du pays. Il est nécessaire de continuer à s’attaquer à des emballages plus répandus pour réellement inverser la tendance.

Selon cette professeure, ce n’est qu’en nuisant aux résultats financiers des industries qu’on verra un changement substantiel survenir dans la quantité de plastiques qui nous inonde. Les entreprises doivent être tenues responsables des déchets qu’elles produisent et doivent payer pour s’en débarrasser en fin de vie. Ce n’est qu’alors qu’elles commenceront à fabriquer des emballages plus responsables. Elle souligne que la chose principale que nous pouvons faire sur le plan individuel, c’est de réduire notre consommation. On a mis beaucoup trop l’accent sur le recyclage, alors qu’il devrait être notre dernier recours. Elle ajoute que la réduction est une action fantastique et totalement gratuite, quand on sait qu’au sein de l’élite mondiale, les Canadiens représentent 17 % des surproducteurs et des surconsommateurs.

Exercer une pression sur les gouvernements pour qu’ils fassent de l’élimination des plastiques — plutôt que leur simple réduction — une priorité absolue devrait guider nos décisions quand vient le temps d’aller aux urnes. Myra Hird rappelle qu’il existe déjà d’autres modèles dont nos dirigeants peuvent s’inspirer, comme le projet, plus ambitieux, de la France d’interdire les emballages plastiques d’ici 2040. «On ne part pas de rien au Canada, mais on est vraiment en retard. Certains pays sont bien plus avancés que nous.» Et ça doit changer. 

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