TRAVERSER ET COMPRENDRE LE DEUIL PARASOCIAL

Il n’est pas rare que le décès d’une vedette adulée fasse vibrer tout un pays, voire le monde. Mais qu’est-ce qui explique la peine colossale qui accompagne un deuil parasocial?

Quand Amélie Faubert, 34 ans, a appris le décès du chanteur des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, en novembre dernier, elle a vécu une peine très particulière. «J’ai tout de suite eu l’impression qu’une partie de moi-même s’éteignait avec lui», raconte l’intervenante psychosociale et coanimatrice du balado féministe Les ficelles. «Les Cowboys Fringants m’ont accompagnée dans mon développement humain, mon apprentissage politique et ma découverte des injustices sociales. J’ai dû les voir en show une vingtaine de fois, sinon plus… Je pense sincèrement être qui je suis aujourd’hui grâce à leur musique.» Amélie s’est dite sidérée par la tristesse à l’annonce de la nouvelle, mais elle considère avoir pu apaiser sa peine lors du dernier hommage qui a été rendu au chanteur, au cours d’une cérémonie nationale le 28 novembre au Centre Bell.

Martin Luther King, Elvis Presley, John Lennon, Diana Spencer, Michael Jackson… Le deuil parasocial, soit le deuil collectif pour des gens qu’on n’a pas personnellement connus, «ne date pas d’hier et n’est pas propre aux Québécois, bien qu’on soit un peuple très attaché à notre vedettariat», dit la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. «Notre réaction dans ce type de deuil va habituellement dépendre de notre contexte actuel et de l’admiration qu’on portait à la personne décédée. Bien qu’on puisse ressentir de fortes émotions, leur durée et leur intensité seront différentes, en comparaison avec un deuil personnel. Il faut dire qu’on ne perd pas nos repères de la même façon que lorsqu’un attachement affectif réel est coupé!» 

LE B.A.-BA DU DEUIL PARASOCIAL 

Pour démystifier le phénomène, la Dre Christine Grou cite quatre concepts fondamentaux qui expliquent les rouages du deuil parasocial.

  1. L’identification, ou le fait de s’identifier à la vedette disparue. «Par exemple, Karl Tremblay était un père de famille de 47 ans qui était très proche de son public et qui parlait ouvertement de ses vécus affectif et politique, dit la psychologue. C’est donc facile pour les hommes québécois du même âge que lui, qui ont également des enfants, de se mettre à sa place.»
  2. L’association, ou le fait que la célébrité soit associée à nos souvenirs, comme ç’a été le cas pour Amélie Faubert. «Ce n’est alors pas seulement une vedette qu’on perd, mais parfois toute une époque de notre vie, fait remarquer la Dre Grou. Je me souviens comme si c’était hier de la réaction de toute une génération quand John Lennon est décédé. C’était un choc pour un tas de jeunes qui avaient vécu leur enfance et leur adolescence avec lui!»
  3. La médiatisation, ou le fait qu’une personne connue fasse tellement jaser dans les médias qu’on a l’impression, bien que ce soit faux, qu’on la connaît intimement et qu’elle fait partie intégrante de notre quotidien.
  4. La transposition, ou le fait que cette mort nous ramène à d’autres petits ou grands deuils de notre propre vie. «Quand on pleure une personnalité publique qu’on n’a jamais connue, on pleure aussi souvent d’autres choses: des proches qu’on a perdus ou qu’on perdra un jour, des événements tristes ou perturbants qui nous sont arrivés… Autrement dit, on pleure une sorte de peine condensée d’autres éléments composant notre vie», explique la psychologue.

LES ÉTAPES USUELLES 

D’après la Dre Christine Grou, les étapes d’un deuil parasocial sont sensiblement les mêmes que celles que nous traversons quand nous sommes en deuil d’une personne qui nous est proche. «C’est certain qu’il sera beaucoup plus facile de s’en remettre que lorsqu’on perd un parent, un conjoint ou, pire encore, un enfant. Dans ces tristes cas, c’est notre vie entière qui sera changée pour toujours. Autrement, sauf pour l’effet d’entraînement — ou la tendance des humains à “faire comme tout le monde” — causé par la collectivité derrière un deuil parasocial, les étapes à traverser sont, somme toute, très similaires à celles d’un deuil personnel.» 

Depuis la parution du livre Les derniers instants de la vie, en 1969, un grand nombre de spécialistes en santé mentale ont revu et enrichi les étapes du deuil citées par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross dans cet important ouvrage. «Durant les années 1960, l’autrice a observé 5 étapes chez plus ou moins 500 patients en fin de vie: le déni, la colère, la dépression, l’acceptation et la sérénité», résume Johanne de Montigny, psychologue et consultante pour le site de ressources et d’accompagnement infodeuil.ca. «Ces mêmes étapes ont par la suite été reprises, redéfinies et appliquées, à quelques nuances près, aux personnes en deuil. C’est donc à cette grande femme qu’on doit la description des phases et des états fluctuants que peuvent traverser ces gens.» Depuis, la recherche et l’observation clinique ont permis aux experts sur le sujet de nuancer la lecture des phases du deuil, mais il en demeure trois spécifiques auxquelles la majorité des gens s’identifient dans cette épreuve: «la sidération — ou l’incrédulité —, la déstabilisation — ou la quête de sens — et la reconstruction — ou la transformation de soi», précise-t-elle. 

ALLÉGER LA PEINE 

Peu importe le genre de deuil dont on souffre, les trucs et les astuces recommandés par la majorité des psychologues varient surtout en fonction de la personne endeuillée. En tête de liste des gestes à privilégier, selon Johanne de Montigny: prendre le temps d’apprivoiser le chagrin, le manque, le vide, la solitude et la vie chamboulée. «Enfouir ses émotions, retenir ses larmes et éviter d’aborder la perte risqueraient de bloquer le processus de deuil», dit-elle. 

La Dre Christine Grou fait observer que «pour certains, il sera utile d’écrire une lettre à la personne décédée, même si cette dernière ne la lira jamais, dans le but de libérer sa mémoire; pour d’autres, il sera plus apaisant de regarder des photos ou d’écouter, en famille, entre amis ou même en solo, la musique que la personne disparue aimait». Qu’on préfère vivre sa peine dans l’action ou dans l’émotion, il est primordial de se rappeler qu’il n’y a pas de mauvaise façon de gérer sa tristesse. «On le voit parfois lorsqu’une fratrie est frappée par la mort d’un parent: chaque membre de la famille vit ça à sa manière. Il faut respecter le rythme de chacun dans ce processus», conseille-t-elle. Et ça vaut aussi pour le deuil de nos célébrités préférées. 

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